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Le chat aventurier

Il faut savoir que c'est un chat né dans un orphelinat surpeuplé d'Égypte, d'où il s'est échappé en se cachant dans le side-car d'un borgne unijambiste pour embarquer dans un paquebot de luxe en partance pour Oslo via Athène, Rome et Marseille, et sur lequel il a été nourri par un marin lituanien qui venait d'apprendre que sa femme avait accouché d'un enfant prénommé Victor mais qui n'était malheureusement pas de lui, et à qui le chat rappellait l'animal de compagnie qui avait été son seul ami entre ses 8 et 12 ans, lors de ses études au sévère pensionnat Pétrovich.

Une fois en Grèce, il s'est discrètement introduit dans la voiture de location des Smithsons, une famille d'américains trop gras, dont le fils a la particularité, outre de collectionner les vers de terre séchés, de toujours cacher le reste de ses frites derrière le siège arrière de la voiture, « en cas de nécessité » se dit-il.

Après s'être nourri pendant trois jours de frites froides et de cola dégazéifié, caché dans le coffre de la voiture, le chat se retrouve à l'aéroport, où il se cache dans le sac à main d'une hotesse mécontente de se retrouver dans le vol pour Londres, à la place de son vol habituel pour Madrid où elle espérait retrouver le beau Marco, rencontré la semaine précédente, et à qui elle n'arrêtait pas de penser depuis leur soirée passée ensemble sur la place pourtant bétonnée de Costillare.

Arrivé à Heathrow, notre jeune chat, effrayé par les bruits de réacteurs, se sauve à travers les routes de campagne, où il traverse inopinément devant les roues d'une austin martin 1965 qui, pour l'éviter, est contrainte de faire une soudaine embardée, envoyant la voiture de collection dans un vieux chêne, blessant sévèrement son conducteur, un triste veuf de 54 ans qui, amené à l'hopital, rencontrera une infirmière de 5 ans sa cadette, avec laquelle il finira ses jours.

Après deux semaines passées dans les égoûts britanniques, notre chat se retrouve propulsé dans la Tamise, poussé par les eaux d'une dépression née un mois plus tôt dans le nord canadien, où elle avait provoqué de violentes tempêtes de neige, bloquant la population dans leur maison, ce qui augmentera par le même coup, neuf mois plus tard, le taux de natalité régional de 3% par rapport à l'année précédente. A la faveur d'un courant favorable, il s'est hissé sur les berges du fleuve pour se régaler d'un morceau de hot-dog particulièrement bienvenu, qu'un travailleur pakistanais laissa tombé distraitement en pensant tendrement à sa femme qu'il avait hâte de retrouver, une fois sa journée de technicien de nettoyage pour la compagnie Eurostar terminée. Le petit chat, poussé par la faim, suivit le nettoyeur pakistanais jusqu'à la gare, et s'endormit à la place numéro 15 de la voiture 8, encore chaude de son occupation par le commercial trop payé d'une grosse multinationale de l'informatique, qui sera licencié deux semaines plus tard à l'occasion de la délocalisation de son entreprise en Inde.

Le chat, qui a voyagé caché derrière deux grosses valises noires conçues pour résister à des pressions correspondant à un poid respectif de 120 et 150 kg, est retrouvé à son arrivée à Paris par le personnel d'Eurostar, et recueillie par une guichetière parlant couramment l'anglais, l'espagnol, se débrouillant en italien, ainsi qu'en portugais pour les grandes occasions, et dont un des passe-temps est de participer à la gestion d'un salon virtuel de discussions sur internet. Dans l'appartement du 4ème étage de la guichetière, le chat, rendu trop confiant par toutes les aventures déjà vécues, chute par la fenêtre en explorant sa nouvelle demeure. Lors de sa chute, les pensées du chat ont été, dans l'ordre « zut, j'étais pourtant sûr de l'attraper, cette mouche », et « les pattes vers le bas, les pattes vers le bas ! ».

Heureusement pour notre aventurier, il est notoire que les chats ont neuf vies...

X.B., 11/2005